La 3° DIM et la 3° DCR reçoivent l’ordre de retrait de leurs positions le 24 mai en fin de journée (ordre n°26 du 21°CA* daté de 21h15) transmis aux PC régimentaires vers 23h30. Elles sont relevées par deux divisions : la 35° et la 6° DI sur une nouvelle ligne de défense rectifiée qui s’étend du Chesne à Oches et Beaumont en Argonne (Bois du Four). La partie Oches-Bois du Four défendue par la 6° DI a été exposée dans le secteur précédent (Mont Damion-Oches).
La 35° Division d’Infanterie est chargée du secteur Le Chesne-Oches (exclu).
La 35° DI est composée des 11° et 123° Régiments d’Infanterie, du 21° RMVE, des 14° et 214° Régiments d’Artillerie, du 29° Groupe de Reconnaissance, de Pionniers, du Groupe de Santé Divisionnaire, des Transmissions et de tous les services annexes.
Elle est commandée par le général Louis DECHARME, un curieux personnage : xénophobe, antisémite, ami fidèle de Maxime Weygand, davantage obnubilé par le danger communiste que par le nazisme, proche de la Cagoule comme nombre d’officiers supérieurs à cette époque. Fait prisonnier le 23 juin, il est envoyé dans la forteresse de Königstein mais est rapatrié en 1941 et affecté en zone libre ; il entre dans l’ORA (Organisation de Résistance de l’Armée) en 1943 et accompagnera le général De Gaulle à la Libération de Paris.
Difficultés d’acheminement
La 35° Division est en réserve du Grand Quartier Général. Elle est composée de 16 000 hommes dont 600 officiers et de 5 000 chevaux. Stationnée dans le secteur de Brumath, près de Strasbourg, elle reçoit d’abord l’ordre de se rendre dans le secteur de Lérouville, au Nord de Bar le Duc. 57 trains assurent le transport les 21 et 22 mai. Les premiers arrivés s’installent comme ils peuvent, sous une pluie fine qui détrempe champs et forêts, car la 2° Armée (Huntziger) qui les reçoit n’assure aucun accueil.
Le 23 mai, nouvelles instructions à la division qui doit maintenant se rendre au Sud de Sainte Ménehould (Passavant et environs). Les trains encore en ligne sont déroutés ; les troupes débarquées à Lérouville doivent rejoindre de nuit par leurs propres moyens (60 km !) leur nouvelle zone de stationnement. Et vers 16 h, nouvelle modification : il faut cette fois se rendre au NO de Buzancy (Germont-Authe) dans le but d’être aussitôt engagées. Les derniers trains sont à nouveau déviés ; des camions assurent le transport d’un certain nombre d’unités. D’autres doivent rejoindre par la route. De ce fait, la 35° DI s’étire sur une centaine de km. L’artillerie légère, les pionniers, les équipages et leurs trains doivent venir par la route. La 6° Compagnie du 21° Régiment de Marche de Volontaires Étrangers (RMVE) et le Groupement de Santé Divisionnaire ont été « oubliés » à Nicey (25 km au NO de Lérouville).
Le général Flavigny (21° CA*) a prévu que la division soit en place le 24 mai au soir et qu’une contre- attaque démarre le lendemain matin.
Le 25 mai :
Le PC divisionnaire initialement prévu à Termes, cible de bombardements aériens, s’installe à Marcq. On y découvre « un important détachement d’infanterie anglaise, parfaitement équipé et muni de camions flambant neufs« . C’est la 51° Division britannique qui finit par disparaître en direction de Sainte Ménehould. Le capitaine Latrille, responsable des Transmissions au PC de la 35° DI note dans ses carnets de route : « J’assiste au PC d’une division britannique à une réunion de notre État-Major…« . Que faisaient ces Anglais à cet endroit? D’où venaient-ils ? Où allaient-ils ? Nos fantassins les regardaient avec envie !
Des vagues de bombardiers ennemis survolent régulièrement le secteur se dirigeant vers nos arrières pour y remplir leur mission de destruction et de désorganisation des voies de communication. Ils sont souvent accompagnés de chasseurs. On voit peu d’avions français les attaquer.
Une batterie motorisée de DCA* arrivera en juin, commandée par le lieutenant Dumas (404° DCA*). Il s’agit de 6 canons de 25, très efficaces, mais avec une provision de munitions fort insuffisante.
Les troupes arrivent sur place à marche forcée alors que leurs homologues allemands sont amenés en camions très près du lieu d’engagement. Ajoutons que le soldat allemand est en tenue allégée, porteur de son fusil, d’une gourde et d’une musette. Le soldat français, lui, ressemble plus à un père Noël qu’à un fantassin : en capote, avec 35 kg sur le dos, sous un soleil ardent. Au bout de plusieurs heures de marche, tous sont épuisés. Aucun ne se soucie du matériel jonchant les fossés : sacs à dos, sacoches à munitions, boites de conserve, fusils, abandonnés par leurs prédécesseurs.Pour encore ralentir cette pénible mise en place, précisons qu’hormis l’État-
Major de la division, les officiers ne disposent d’aucune carte d’état-major et doivent chercher leur chemin, souvent à l’aide des cartes du calendrier des Postes récupérées dans les habitations.
La position est provisoirement tenue par les derniers éléments de la 3° DIM*, de la 3° DCR*, de la 1° Brigade de Spahis et de la 1° Brigade de Cavalerie.
L’artillerie de la 3° DIM (42° RA, 242° RA) et celle de la 3° DCR (319° RATT*) restent en place jusqu’au 7 juin constituant une importante force de frappe.
Il est clair que, malgré tous ses efforts, la 35° DI ne peut être en place comme l’avait programmé Flavigny !
Les relations entre le général DECHARME et le général FLAVIGNY (21° Corps d’Armée) installé à Senuc à la place du général Huntziger (II° Armée) qui a migré au sud de Verdun, s’avèrent difficiles. Flavigny veut immédiatement engager une contre-attaque avec quatre bataillons des 11° et 123° RI, à peine arrivés et rompus de fatigue, ce que conteste le général Decharme qui en réfère au général HUNTZIGER. Ce dernier se rend au PC du général BERTIN-BOUSSU à Belleville sur Bar, avec Flavigny et Decharme et, après un examen des lieux et de l’état des hommes, décide d’annuler le projet.
La division n’est finalement en place que le 26 mai, mais sans son artillerie encore sur la route.
Installation
Les trois régiments sont chargés de la défense de trois secteurs bien définis :
Le 21° RMVE contrôle les rives du canal des Ardennes du Chesne aux Petites Armoises : un secteur humide, voire marécageux au passage de la Bar, assez plat, sans moyens de dissimulation.
Le 11° RI est chargé de la défense du Bois de Sy qui domine la vallée du ruisseau des Armoises et se trouve face aux hauteurs de Tannay et des positions ennemies.
Au 123° RI échoit la défense du secteur entre la pointe du Bois de Sy (vallée d’Ecogne) et Oches, qui est défendu par le 36° RI (6° Division). C’est une vallée très large au fond de laquelle serpente le ruisseau de Bièvre dont les rives sont marécageuses. La ligne de défense est fixée au sommet de la ligne de collines poursuivant l’extrémité du vallon de Sy et dominant l’immensité des champs allant jusqu’aux Grandes Armoises. A leur droite est dissimulé le village de La Berlière derrière quelques bois avant- gardes du massif du Mont Du Cygne.
Pratiquement tout est à faire car ce sont de nouvelles positions dues à la rectification de la ligne de défense (Le Chesne-Oches).
Les moyens en artillerie sont exceptionnellement abondants. La 35° DI dispose de ses deux régiments organiques (encore sur la route !) :
3 groupes du 14° RAD du colonel ROYAL (36 canons de 75), deux groupes du 214° RALD du colonel THOUVENIN (24 canons de 155 court), une batterie antichar (8 canons de 47) et de deux artilleries divisionnaires entières, celle de la 3° DIM (42° et 242° RA) et celle de la 3° DCR ( 319° RATT* : 10 groupes de 105 Tout Terrain).
Cette abondance permet de répartir les moyens entre chacun des trois régiments engagés tout en conservant des éléments en réserve (colonel Royal du 14° RA avec son État-Major). Elle assure une réaction rapide et efficace à chaque demande d’appui. Le 29° GRDI (commandant de ROLLAND) est stationné dans les bois du Morthomme et les Pionniers à Briquenay.
Nous examinerons chacun de ces trois secteurs afin de pouvoir suivre le déroulement des combats.
Le 21° RMVE (secteur Le Chesne – Les Petites Armoises)
24 mai
Il est commandé par le colonel Paul DEBUISSY et formé d’environ 2 800 hommes de 49 nationalités différentes (antinazis et républicains espagnols). De plus en plus nombreux sont les juifs ayant fui les nazis. Autant d’individus incompatibles avec la mentalité cagoularde prédominante dans le corps des officiers français de la division. L’antisémitisme de Decharme est clairement étiqueté dans le livre d’Hans Habe publié en 1941 aux États-Unis sous le titre de « Shall a Thousend Fall » (Ob tausend fallen-S’il en tombe mille).
Ils sont sous-équipés, mal habillés, avec de vieux fusils sans bretelle, sans canons antichars, sans mitrailleuses, sans voiturettes, mais avec une centaine de camions et camionnettes neufs. Plusieurs centaines de fantassins (800) n’ont pas de fusil ; 5 % ont un mousqueton, les autres des fusils de 1891 ou 1916. La réserve de nourriture individuelle est spartiate : 11 biscottes, une boite de sardines, une boite de « singe » (boites de 1916 à 1920 repeintes pour l’occasion- témoignage d’Hans Habe).
Amené en camions par Sainte Menehould et Grandpré, le 21° RMVE est débarqué à Beffu-Le Morthomme, au Nord de Grandpré d’où il doit rejoindre ses positions à pied (22 km..).
25 mai
A 21 h, le 24 mai, le 1er Bataillon commandé par Léopold Mirabail part à pied vers Briquenay et Boult aux Bois où il arrive le 25 à 4 h du matin. Après une courte pause, il doit poursuivre sur Belleville et Châtillon pour aller s’installer dans les Bois de Noirval. Au débouché de Belleville, en vue directe des observateurs allemands postés sur les collines à l’Ouest de Tannay, il est accueilli par des tirs d’artillerie et subit ses premières pertes (1 tué, 2 blessés). Il ne sera en place que vers 19 h.
Le II° Bataillon n’arrive que le 25 au Morthomme et attend la nuit pour prendre le même itinéraire, très encombré, et arriver le 26 au petit jour sur le canal des Ardennes, face au Chesne.
Le III° Bataillon est amené au Morthomme en camions dans la nuit du 23 au 24 mai. Il stationne au Bois de Bourgogne et part le 24 au soir pour Chatillon et Les Petites Armoises. Il fait une pause dans les bois de Belleville et n’arrive qu’à l’aube du 25 dans le bois de Wileux, (Nord de Noirval-Ouest de Belleville).
Revenant du PC de la 3° DIM dans les bois de Belleville, le Capitaine Latrille les croise et note :
« Dès Boult dépassé, je comprends le « ça dérouille » de Bréham. Les obus pleuvent ; les départs aussi se succèdent et sur la route, deux mouvements : le montant, pauvres fantassins du 21° RMVE se mouvant péniblement pedibus. Le descendant, voitures chargées d’objets de toutes sortes. Dans les fossés gisent des véhicules, roues en l’air : voitures hippo, autos, chars… Je note tout ce qui peut m’intéresser et rentre sous le marmitage. Le 21° RMVE monte péniblement : peu de traînards… »
Le Batailllon est encore à quelques kilomètres des positions qu’il doit occuper : la 9° compagnie aux Petites Armoises, la 11° au coude du canal, la 10° en réserve en avant de la ferme de Bazancourt où se trouve le PC du Bataillon.
Un observatoire est installé à la corne Nord du Bois de Wileux
Certains doivent enjamber par endroits des morts restés sur le terrain car une infiltration ennemie avait surpris une relève et l’avait décimée avant de se replier. C’est le baptême du feu et les troupes s’activent à conforter leurs positions de défense, utilisant au mieux celles de leurs prédécesseurs.
La section Pereira de la 10° Cie est détachée au Moulin Neuf, au dessus du village des Petites Armoises vers Sy. La 9° compagnie du capitaine Sabadie encadre le village tenu jusqu’au 29 mai par la 9° compagnie du 11° RI commandée par le Capitaine Roux.
L’arrivée tardive du III° Bataillon l’amène à gagner ses positions en plein jour, malgré les avertissements reçus. Or le terrain est assez dénudé, parsemé de quelques buissons. Les hommes sont donc vite repérés par les observateurs ennemis guidant l’artillerie et l’aviation et pris pour cibles. Les tirs font plusieurs tués et blessés.
A gauche, vers Le Chesne, l’ennemi tente à plusieurs reprises de traverser le canal mais il est repoussé à chaque tentative.
En réplique à ces attaques répétées, le III° Bataillon du commandant Poulain reçoit l’ordre d’organiser une attaque afin de repousser l’ennemi jusqu’au Chesne. Franchissant le canal, la 11° compagnie, avec le capitaine comte Ravel et le sergent Gattegno, contraint l’ennemi à reculer de plus de 2 km, jusqu’au village du Chesne et à la route de Tannay. Ils participent à la destruction du pont du canal et occupent la moitié Sud-Est de la commune.
La division a perdu près de 400 hommes, tués et blessés, en cette première journée.
Les éléments couvrant la relève se retirent : des éléments du Groupement Gallini : 14° GRCA* et 8° Chasseurs à cheval se replient vers 22 h. Le retrait de la 3° DIM s’achève de 23h30 à 0h30.
Les derniers chars de la 3° DCR sont rassemblés dans les bois au Sud-Ouest de Boult aux Bois.
26 mai
Le général Decharme décide d’établir un PC avancé près de BRIQUENAY, en haut du massif boisé s’étendant au Sud-Ouest du village, au-dessus de la route allant vers Grandpré, bien à l’abri des vues du mouchard et plus près de la zone des combats. Les pionniers construisent les installations nécessaires au logement et au fonctionnement des services : un vrai village provisoire sort du néant : alvéoles creusées dans la paroi rocheuse (gaize) avec portes, fenêtres et rayonnages, baraques en bois, tentes… La Brigade Gaillard stationne dans les bois voisins.
Le PC du 21° RMVE s’installe à la ferme de Saint Denis, entre Noirval et Le Chesne.
Le régiment poursuit et améliore ses positions défensives le long du canal : le II° Bataillon (Ludger Fagard) prend position entre Le Chesne et le coude du canal, le III° (commandant Poulain) lui fait suite jusqu’aux Petites Armoises, dans une zone fort marécageuse ; le I° Bataillon (Commandant Léopold Mirabail) est en réserve à la ferme de Bazancourt et au chemin des Mulets. Mais il est difficile d’échapper à la vigilance du mouchard, toujours présent, guidant les tirs de l’artillerie.
L’ennemi tente par tous les moyens de franchir le canal mais il est partout repoussé. Cette guérilla permanente entraîne un certain nombre de pertes qui s’accumulent : lieutenant Julien tué, – nombreux blessés dont le capitaine Eugène Sabadie (9° Cie) qui décèdera en moins de 48 heures.
Un combat aérien a lieu entre deux bombardiers ennemis et deux chasseurs français. Les deux avions ennemis sont touchés et l’un se pose en catastrophe dans le secteur de Authe. Le 29° GRDI* alerté se rend rapidement maître des quatre occupants dont l’un est blessé. Ils venaient de Trèves pour bombarder Châlons sur Marne.
27 mai
L’artillerie rejoint enfin la division : le 14° RAD, les deux groupes du 214° RAD et la batterie antichars.
Les positions sont la cible de nombreux tirs d’artillerie, notamment au coude du canal, sur la 11° Compagnie, ce qui entraîne à nouveau des pertes significatives, en tués et blessés,
certains grièvement comme l’aspirant Beille. Le service sanitaire est totalement
débordé, le médecin (Lt Buvat) faisant fonction de Médecin-Chef du régiment.
Un poste d’observation situé à l’angle Nord-Ouest de l’enceinte de Maison Rouge entend des grincements de chenilles de chars et alerte le PC à Noirval. Mais l’alerte est sans suite.
Des éléments ennemis progressent venant de Tannay vers Les Petites Armoises : ils occupent la carrière du Sud-Ouest et la cote 201 ainsi que les crêtes dominant le village. Leur progression est ralentie puis stoppée par les tirs croisés des positions françaises.
28 mai
Journée plus calme côté allemand : les troupes se mettent à creuser des tranchées sur les pentes faisant face aux Petites Armoises, et à les bétonner. Les tirs de l’artillerie française ont vite fait de les freiner : l’activité de nombreux brancardiers montre que les tirs ont fait mouche. Mais l’avion mouchard allemand déclenche des tirs de 105 et de 150 sur nos positions.
Le général Delaissey, commandant de l’Infanterie Divisionnaire, vient en sidecar jusqu’à la ferme de Bazancourt, accompagné d’un officier du Génie chargé d’observer la position de péniches amenées par l’ennemi à certains endroits du canal. Leur venue est vite repérée par le mouchard qui déclenche de violents tirs d’artillerie sur la ferme et ses environs, provoquant 3 tués et plusieurs blessés.
29 mai
Un nouveau regroupement s’opère :
La 35° division forme, avec la 36° DI, le Corps d’Armée Colonial (CAC) commandée par le général FREYDENBERG dont le QG s’installe à Senuc. Sa zone de couverture est assez vaste, sans moyens de défense particuliers. Craignant des incursions d’engins blindés ennemis, le Quartier Général, inquiet de l’activité ennemie, fait établir des barricades en chicanes à Germont et à Briquenay avec du personnel du 18° Bataillon d’Infanterie Légère d’Afrique (18° BILA) et du 29° GRDI*.
Comme le bétail erre partout, apeuré par les tirs et souffrant du manque de traite, les lignes téléphoniques filaires sont constamment brisées. Cela s’ajoute aux câbles hachés le long des routes par les tirs d’artillerie ennemis ; de ce fait, les groupes d’intervention chargés de l’entretien des
lignes téléphoniques sont très sollicités. Afin de les soulager, il est décidé d’éloigner les animaux : 800 bêtes sont rassemblées en quelques jours à Chevières et emmenées par wagons. D’autres vaches sont rassemblées dans des bâtiments agricoles et leur traite organisée pour en tirer le lait utile aux différentes cuisines.
Le régiment transfère son PC de la ferme Saint Denis au Bois de Noirval. La défense du village des Petites Armoises est retirée au 11° RI pour être confiée au II° Bataillon. La compagnie de Pionniers est retirée pour être réaffectée à l’Armée.
Le PC de la division quitte Marcq pour s’installer à La Noue le Coq, avec la prévôté, emplacement mieux camouflé, plus grand et plus agréable. Tous les services divisionnaires y trouvent place en bureaux et logements et la forêt offre aux véhicules d’immenses places de stationnement invisibles du ciel.
Sur le canal, les relèves s’opèrent normalement, sans trop être inquiétées par les actions ennemies. Le II° Bataillon (2° Compagnie) prend en charge Les Petites Armoises, les 1° et 3° étant postées dans les boqueteaux et la zone humide, entre le village et le canal.
Devant Les Petites Armoises, une patrouille ennemie qui s’infiltrait insidieusement dans nos lignes, est surprise et anéantie : des armes et des cartes, avec les positions des armes automatiques et des batteries allemandes, sont récupérées.
30 mai
La « popote » du 21° RMVE a été installée à Boult aux Bois (11 km).
Cette distance rend aléatoire le transport de la nourriture : soit elle arrive froide, soit elle est renversée dans les fossés quand surviennent en cours de route les avions ou les tirs d’artillerie… Les fantassins restent souvent 48 heures sans rien recevoir. Chacun doit donc satisfaire sa faim et sa soif comme il peut : récupération de volailles ou de lapins, braconnage, visite des maisons… Mais il y a foule et c’est loin d’être évident ! Mais les anciens de la guerre d’Espagne sont rôdés à cette façon de survivre…
Certains jours, tout se passe bien : il suffit de réchauffer ce qui arrive…
31 mai
Comme Le village des Petites Armoises est sous la menace d’attaques en permanence, il est décidé de poser des champs de mines. Une équipe est chargée de ce travail, la nuit, avec les lieutenants Louis Imbach et Barthélémy Castaner ainsi que Fernand Darroussat. Mais une patrouille ennemie surprend un groupe de ces poseurs de mines et l’élimine : 5 morts.
Les tirs d’artillerie ennemie se succèdent toute la journée sans pour autant empêcher les relèves prévues.
1, 2, 3 juin
Le III° Bataillon a été relevé par le I°. Il va s’installer au Bois de Wileux. Préoccupé par les infiltrations ennemies, il renforce sa sécurité en installant des postes de surveillance en lisière du bois. Le mouchard omniprésent observe tout mouvement et déclenche des tirs d’artillerie ciblés souvent meurtriers. L’aviation intervient également par moments, mitraillant au hasard et lâchant des bombes là où des présences se sont manifestées. Plus ou moins surpris par ces tirs, plusieurs fantassins sont tués ou blessés.
Chaque soir, du 2 au 5 juin, les batteries françaises effectuent des tirs de harcèlement sur Tannay, le bord du canal et les abords de la forêt du Mont Dieu par où arrivent à l’ennemi ravitaillement et renforts : chaque pièce envoie 36 obus.
4 juin
Près du Chesne, des groupes allemands utilisent des haut-parleurs qui diffusent musique et messages appelant à cesser le combat. L’opération ne dure toutefois pas longtemps car l’emplacement facilement repéré est vite la cible de tirs de mortiers qui font mouche.
5 – 6 juin
Le 5 juin arrive en renfort le 18° BILA mais sans aucun moyens de liaison, de transmission, de défense.
Des réunions de formation sont organisées au niveau des officiers Z (chargés des gaz), consacrées à la lutte antichars par utilisation de bouteilles remplies d’un mélange incendiaire (plus tard appelées cocktails Molotov). Ces officiers sont chargés de diffuser cette pratique afin de la généraliser. Mais l’ordre de repli remettra tout en cause.
Des tirs sporadiques de l’artillerie ennemie et des rafales de mitrailleuses entretiennent une insécurité permanente.
7 juin
Les unités sont informées qu’une attaque d’envergure est attendue le lendemain matin : le GQG* rappelle l’ordre du jour : TENIR !
Hans Habe du 21° RMVE rencontre le soir le colonel Debuissy dans l’église de Noirval. En sortant, ils engagent la conversation et le colonel exprime sa colère d’avoir entendu le général Decharme déclarer : « Chaque étranger en moins, c’est une bouche de moins à nourrir pour la France ! » ; il ajoute à Habe : « Nous nous sommes bien battus, je suis fier de vous ! »
8 juin
L’observatoire situé à l’angle de Maison Rouge est toujours en place. Les tirs d’artillerie ont dégagé un espace de forêt de plus de 50 m où troncs et branches déchiquetés s’enchevêtrent. Les deux observateurs enregistrent à nouveau, pendant 3 heures, des bruits de chenilles, de moteurs de chars, des tirs de mitraillette. Ils voient clairement des chars arrêtés vers Le Chesne. Est-ce l’assaut ? Ils se terrent dans leur abri, retiennent leur souffle et observent. Quelques Allemands se fraient un passage dans le bois puis rebroussent chemin et disparaissent.
Un silence général règne à partir de 7 h. C’est le 1° Bataillon du commandant Mirabail qui tient le secteur du Chesne. Ils apprendront que la 11° Compagnie du comte Ravel a subi de violentes attaques cette nuit, qu’elle a résisté mais au prix de lourdes pertes, en ayant toutefois fait 2 prisonniers.
Les deux observateurs remarquent sur la pente d’en face, vers le Nord, un Allemand déployant un grand drapeau à croix rouge. Les tirs cessent. Des hommes apparaissent porteurs de caisses, sans doute de pansements ? Ils ramassent leurs blessés, les évacuent puis ouvrent les caisses dont ils extraient une mitrailleuse rapidement mise en position ainsi qu’un téléphone dont l’un se saisit. Des positions creusées la veille apparaissent soudain, comme des champignons, des têtes munies d’un masque à gaz. C’est une supercherie destinée à installer une arme lourde automatique sur laquelle se heurteront les hommes du II° Bataillon ! Le PC est aussitôt alerté. Mais, aucune réaction ! C’est curieux… Arrivent peu après les membres d’une batterie d’artillerie voisine qui viennent leur dire au revoir. Alors ? Pas de tirs ? – Non, nous n’avons plus de munitions depuis deux jours !
9 juin
L’ennemi attaque sur l’ensemble du front.
Averties, nos unités opposent une farouche résistance et empêchent toute progression. Dès 4h30, de nombreux bombardiers prennent le secteur des Petites Armoises comme cible. Les vagues se succèdent de 5 mn en 5 mn, lâchant leur charge de bombes. Le village est en flammes, la plupart des maisons détruites. Les divers dépôts de munitions entreposés dans les bâtiments explosent à intervalles réguliers. L’artillerie ennemie s’y ajoute pendant plus d’une heure, mêlant des obus fumigènes aux obus explosifs. C’est un véritable enfer ! Notre artillerie réplique par des tirs de contre-batterie.
Ces tirs s’arrêtent pour laisser place aux attaques surgissant à 30 m de nos positions mais le II° Bataillon les repousse toutes, tant sur le village que sur le Moulin Neuf. Le capitaine Louis Brem (5° compagnie) est tué. Le 21° RMVE compte ce jour-là 21 tués et 57 blessés.
10 juin
L’ennemi poursuit ses attaques, ses tirs d’artillerie et les interventions de son aviation qui cible nos batteries d’artillerie. La résistance française est toujours aussi résolue et efficace.
A 13 h, le général Decharme est appelé au CAC à Senuc pour apprendre qu’il faut décrocher car le front a été crevé à Château-Porcien et les troupes ennemies filent vers Reims, Châlons et Vitry le François, risquant d’encercler les armées françaises du Nord-Est. Ce repli doit s’effectuer dans la nuit du lendemain. Il faut donc s’y préparer.
Le général Decharme convoque les chefs d’unités à son PC de Briquenay pour organiser le repli.
La 35° DI retraitera en combattant sur trois axes :
- à gauche, le groupement Debuissy : 21° RMVE + 1°groupe du 14° RAD,
- au centre :
- groupement Pamponneau : 11° RI + 3° groupe du 14° RAD
- un autre groupement avec le Lieutenant Colonel Martyn suit le même itinéraire : 18° BILA + un groupe de la 35° DI + 214° RAD + Pionniers
- à droite, le groupement d’Olce avec 123° RI + 2° groupe du 14° RAD + Bataillon antichar
Le 29° GRDI est partagé en 3 groupes affectés à chacun des axes de repli : capitaine de Carrère à gauche, capitaine Jeanjean au centre, capitaine de Lestrange à droite.
A 23 h arrivent de nouvelles directives : le repli doit s’effectuer cette nuit même ! Des protestations fusent notamment du colonel Royal de l’artillerie : c’est beaucoup trop court ! Mais il faut obéir aux ordres…C’est alors l’affolement généralisé.
Le I° Bataillon du 21° RMVE décroche vers 22 h et se replie sur La Croix aux Bois. A 21h30, le III° Bataillon reçoit l’ordre de repli. Seule une « croûte » doit rester en première ligne. Départ à 22 h 30.
A l’observatoire de Maison Rouge, c’est l’inquiétude : les lignes téléphoniques sont hachées menu : plus aucune liaison. La possibilité d’un ordre de repli avait été annoncée. Dans ce cas, il faut tout enterrer : codes, cahier d’enregistrement et sauver le matériel, ce qu’ils font. Ils enterrent aussi leurs plaques d’immatriculation car ils savent que leur vie est en jeu s’ils sont reconnus. La nuit tombe ; dans leur binoculaire, ils reconnaissent le I° Bataillon qui se replie, puis le II° ! Les aurait-on oubliés ? L’un d’eux part à Noirval, au PC du régiment, pour en savoir plus. La marche est longue car il faut éviter tout repérage… A Noirval, tout est vide ! Retour de nuit à l’observatoire : ils ont bien été oubliés ! Il faut donc rejoindre le régiment ! A la boussole, ils se faufilent à travers bois, traversent des villages en feu, cherchent un peu de nourriture, marchent plusieurs jours (48 km !) avant de retrouver leurs compagnons dans les Bois d’Autry, toujours porteurs de la binoculaire pourtant bien lourde ! Le colonel qui les croyait tués ou prisonniers les félicite pour leur courage et leur ténacité, ainsi que pour la sauvegarde du matériel (il s’agit de Janos Bekessy, hongrois, de Antonio Malagrida, portugais et de Bernard Barati, roumain).
11 juin
Le groupe de pionniers du lieutenant Duclos est toujours en position de défense au village des Petites Armoises avec un canon de 25 servi par F Kammermeyer (hongrois) et M Renones (espagnol). Ils font partie de la « croûte » de protection prévue. Sortant de la brume, voici un avion à la cocarde tricolore qui les salue en battant des ailes. Arrive ensuite un camion semi-chenillé chargé de ramasser les derniers défenseurs : refus du lieutenant qui s’entête à respecter l’ordre initial de son colonel. Un officier plus avisé file jusqu’au PC de Brieulles afin d’obtenir un ordre de repli du colonel et, cette fois, le canon accroché, les hommes entassés dans l’habitacle, ils quittent Les Petites Armoises au petit matin, rattrapent leur groupe et gagnent La Croix aux Bois et la vallée de l’Aire par Le Morthomme, Grandpré, Senuc.
Le 11°RI (secteur du Bois de Sy)
Le 11° régiment d’Infanterie commandé par le lieutenant-colonel Nicolas Pamponneau est affecté au secteur Petites Armoises-extrémité Nord du Bois de Sy.
Le 25 mai, dès que le III° Bataillon est parvenu à son emplacement, au Bois de Sy, il est la cible de tirs ennemis : le capitaine Joseph de Roaldes est tué par un éclat d’obus.
Les batteries du 319° RATT* (3°DCR) déclenchent des tirs sur le Nord de Tannay où sont rassemblées des troupes ennemies se préparant à attaquer les derniers éléments de la résistance française : 16° BCP – 93° GRDI*…Ces tirs vont se poursuivre sur la partie Nord du village et ses environs immédiats mais n’empêchent pas une avance qui atteint la cote 216 et même par endroits, la route Le Chesne-Grandes Armoises. Elles poursuivent leurs tirs sur la Fontaine Uchon, Sy et, dans la soirée, Les Grandes Armoises. Mais prises comme cibles par l’artillerie ennemie, elles sont amenées à quitter leurs positions pour aller s’installer dans un bois marécageux, à 2 km Sud-Est de Châtillon. Ce repli se fait de nuit au prix de grandes difficultés entraînant des pertes de matériel.
27 mai
Le 11° RI installe son PC à la Guinguette (Brieulles sur Bar).
29 mai
Un incident survient à Sy qui prend des dimensions inattendues : des observateurs remarquent assez régulièrement de la fumée, des fenêtres ouvertes puis fermées, de la lumière la nuit. Préparation d’un coup de main par l’ennemi ? D’une attaque surprise ? L’information remonte du Bataillon au Régiment puis à la Division et au CAC. Ordre est donné d’organiser un coup de main sur le village. Après des tirs d’encagement et de barrage, le coup de main est exécuté. Toutes les maisons sont fouillées et la solution est finalement trouvée : il s’agit d’un traînard de la 3° DIM légèrement blessé à la cuisse et à la main qui se cache le jour et fait la nuit sa cuisine à la lumière d’une bougie. Alerté par cette présence insolite et pour éviter tout effet de surprise de la part de l’ennemi qui occupe Le Mont Dieu, il est décidé de faire occuper le village par une section du 11° RI qui y restera jusqu’au repli effectué dans la nuit du 10 au 11 juin.
Le 123° RI (secteur entre Bois de Sy et Oches)
Le régiment est commandé par le commandant Bélascain.
Le I/123°RI ( commandant Coudrin) est affecté au secteur allant du Nord du Bois de Sy (vallon d’Ecogne) à Oches (exclu) ;
La 7° compagnie est arrivée le 14 au soir et s’est installée. Dès l’aube du 15 elle est la cible de tirs ennemis qui s’avèrent meurtriers : l’un anéantit une section entière, un autre atteint une voiturette à mortiers déchiquetant la voiturette, son conducteur, le canon, l’attelage et un infirmier qui accompagnait. Vu la situation, le I° bataillon choisit de passer par le Bois de Sy et le vallon d’Ecogne, caché à la vue de l’ennemi.
Le II/123 (commandant Jouandet) doit occuper la crête jusque Oches (exclu). Il passe par la ferme de Fond Barré où il découvre le PC de la 1° Brigade de Spahis, superbement organisé et renseigné.
Le III/123 (Capitaine Duvignère) est en réserve dans le Bois du Mont des Grues où s’installe le PC du régiment.
Dans la nuit du 24 au 25 mai, la mise en place se fait progressivement, sans trop se méfier des observatoires ennemis et du mouchard. Vite repérés, ils sont accueillis par un violent bombardement.
Étonnés de ne pas trouver de positions organisées, les arrivants, n’ayant reçu aucune information, ignorent qu’il s’agit d’une nouvelle ligne de résistance allant des Petites Armoises à Oches. Chacun interprète cette situation à sa façon. Le premier impératif est de creuser des emplacements pour le poste de Premier Secours, pour le PC, des tranchées, des emplacements pour les armes lourdes. Le Poste de secours régimentaire est à la ferme du Fond Barré, de l’autre côté du cours marécageux du Bièvre : un parcours long, difficile, exposé et tout déplacement, vite repéré par le mouchard, déclenche des tirs ennemis. Il faut donc faire le maximum au poste de Secours du Bataillon. Malgré leur fatigue, les hommes exécutent tous ces travaux.
Le 25 mai, à l’aube, la 7° Compagnie à peine installée devient la cible de tirs de barrage ennemis qui font de nombreux blessés évacués au Poste de Secours du 1° Bataillon à la Ferme du Moulin. Ce bombardement cesse vers 16 h pour être remplacé par une vive fusillade venant des attaquants et de la riposte de nos mitrailleuses. Les derniers spahis se replient en bon ordre. L’infanterie allemande déferle derrière eux.
Dans les champs qui lui font face, nos observateurs voient soudain arriver des camions d’où jaillissent des centaines de fantassins ennemis passant aussitôt à l’attaque. Les armes lourdes mises en position bloquent la progression ennemie avec l’appui de l’artillerie. La vague ennemie s’arrête soudain et reflue. Elle a subi de sérieuses pertes. Le calme revient.
Le bilan de cette journée est lourd : 63 tués et blessés au régiment : 53 au 1°Bataillon et 9 au 2°! Mais le moral reste bon.
26 mai
L’artillerie ennemie s’acharne sur la nouvelle ligne de front, de Oches au Chesne : 5000 obus seront tirés dans cette journée. Les aménagements sont vivement poursuivis afin de s’enterrer : boyaux de communication, emplacements des armes lourdes, tranchées de repos. Les deux infanteries sont séparées par un no man’s land de 2 à 3 km constitué de prairies où errent des bandes de vaches. 5 000 mines sont amenées pour créer un champ de mines antichars en avant de nos positions. Elles seront mises en place au cours des huit nuits suivantes. L’infanterie allemande attaque en permanence mais ses assauts sont régulièrement repoussés, grâce notamment à la bonne coordination de nos troupes avec l’artillerie.
Le bilan de cette journée est terrible pour la division : 400 tués ou blessés, la plupart au 11° RI.
27 mai
La 7° Compagnie subit des tirs d’artillerie permanents.
Elle doit faire face chaque nuit à des patrouilles ennemies et s’organise en conséquence : le jour, moitié du groupe se repose ; la nuit, un tiers pourvoit aux ravitaillements en munitions, matériel, vivres ; un tiers est chargé de l’amélioration des positions ; un tiers patrouille ou surveille. On apprécie les chenillettes qui, en soirée, amènent planches, tôles, barbelés, outils, munitions.
La nourriture pose des problèmes : les cuisines sont à Briquenay : plus de 12 km ! : c’est bien loin ! Et vu la grande chaleur qui règne, il est impossible de conserver les plats de viande jusqu’au soir !
28 mai – 6 juin
Il règne un calme relatif, parfois étonnant. Les deux artilleries se répondent ; les attaques répétées ennemies sont tellement hardies, qu’elles se font décimer par les tirs ajustés de notre artillerie. On note toutefois une forte activité aérienne sur les arrières bombardant toute arrivée de renforts, tout convoi hippomobile, tout carrefour important. Briquenay, Authe sont visés. Des entonnoirs de 10 m de diamètre coupent certaines routes. Ces bombardements affolent les animaux en liberté (vaches surtout) qui s’enfuient en s’accrochant aux fils téléphoniques et en les brisant. Les téléphonistes n’en finissent pas de réparer ces lignes et pestent contre le manque de radio…
300 hommes arrivent de l’arrière pour combler les pertes des 11° et 123° régiments.
Au cours d’une visite aux PC des unités engagées, R. Dufourg, officier de l’État-Major divisionnaire, découvre une compagnie de chars anciens (des FT 18) camouflée dans une partie du bois du Mont des Grues où se trouve le PC du 123° RI. Ils disparaîtront le 7 ou 8 juin. C’est sans doute à partir de cette réserve que furent amenés les trois chars intervenus le 30 mai près de la ferme de la Polka en appui au 74° RI de la 6° Division d’Infanterie voisine.
Le 7 juin arrive enfin la batterie divisionnaire de DCA.
Le colonel Pierre BELASCAIN, commandant du régiment, malade, est hospitalisé à Vienne le Château puis à Bayonne (Il décèdera le 14 août 1940). Le commandant Jean de LA LANDE d’OLCE lui succède.
8 juin
Il règne un calme inquiétant qui laisse à penser qu’une grande attaque se prépare. En vue de la relève du II° Bataillon par le III°, des reconnaissances des lieux sont faites en soirée.
Solide résistance à l’ennemi qui attaque MAIS ORDRE DE REPLI
9 juin
Dès l’aube débutent de violents tirs d’artillerie allemande sur l’ensemble du front. Le Mont Chaudron (cote 253) est particulièrement visé. L’aviation ennemie intervient, mitraille et bombarde toutes les positions tout au long de la matinée. Arrivent ensuite de nombreuses troupes amenées de La Berlière en camions. Les 3°, 5° et 7° Compagnies résistent dans des conditions infernales : les arbres sont tous déchiquetés, une fumée intense empêche toute observation. Les liaisons sont coupées car les fils sont hachés : c’est l’isolement le plus complet. Mais nos hommes sont bien protégés dans des abris profonds et ils sont galvanisés par la plupart de leurs officiers. L’ennemi progresse par petits groupes (7 à 8) porteurs d’une mitrailleuse. Ils sont en manche de chemise, parfois même torse nu, et semblent se jouer de la mort. La 7° compagnie (Mont Chaudron) résiste mais au prix de lourdes pertes : 14 tués, 20 blessés. Le sous-lieutenant Humblot, âme de la résistance, blessé deux fois refuse d’être évacué. Mais une grenade ennemie l’atteint à la tête et le blesse mortellement.
L’artillerie française est très efficace ; les mitrailleurs fauchent les vagues d’assaillants de manière hallucinante. On se bat à la grenade. Des centaines de morts et de blessés recouvrent le sol en avant de nos positions où aucun pouce de terrain n’a été cédé.
L’ennemi commence à se replier. Mais voici qu’arrivent deux blindés légers (Pz I ou Pz II) venant de La Berlière. L’un saute sur une mine antichar et l’autre fait demi-tour et disparaît. Sous les tirs de notre artillerie, La Berlière est en feu : des dépôts de munitions explosent régulièrement.
Vers 11 h 15 de violents tirs d’artillerie précèdent une nouvelle attaque qui est rapidement bloquée par les feux croisés du 123° RI et du 36° qui défend Oches. L’ennemi se replie enregistrant de lourdes pertes. Une seconde attaque déferle à 14 h. Elle est clouée au sol de la même façon. Le calme revient en fin d’après-midi.
Dans un univers lunaire, les rescapés sont recherchés, réconfortés. Les morts sont ensevelis. Les brancardiers s’affairent à évacuer les blessés. Ils doivent les transporter au Poste de secours à la ferme de Fond Barré et pour y parvenir, doivent descendre de grands espaces ouverts où ils sont très repérables ; des salves d’artillerie les accompagnent : plat ventre, reprise du brancard, une fois, deux fois, franchissement du ruisseau sur une passerelle (la seule) avant d’arriver au Poste de Secours du Bataillon : c’est un calvaire !
En soirée, des éléments du III° Bataillon (capitaine Duvignère) assurent la relève des rescapés du II° Bataillon au Mont Chaudron.
10 juin
L’artillerie française effectue des tirs toute la nuit, pressentant le renouvellement des attaques. A l’aube, cote 253, le lieutenant Bertin découvre une masse de fantassins ennemis qui se déploient au loin et commencent à progresser en direction de notre ligne de résistance. Des tirs de mortiers s’échangent rapidement et vers 5 h, l’artillerie allemande déclenche des tirs de gros calibres où se mêlent obus fumigènes et obus à retardement qui fouillent le sol. La vision étant impossible vu les fumées, nos mitrailleurs fauchent à l’aveuglette. Quand l’atmosphère s’éclaircit, nos observateurs découvrent six canons mis en position devant eux, avec un officier à cheval qui règle les tirs. Des agents de liaison sont envoyés demander des tirs à l’artillerie.
Vers 5h1/2-6h, l’attaque se développe, particulièrement dense sur le Mont Chaudron. Les mitrailleuses de la 6° compagnie entrent en jeu et bloquent cette progression. Entre le Mont Chaudron et Oches (en position surélevée), les feux croisés du 36° RI (dans Oches) et du II° Bataillon éclaircissent les rangs des assaillants. Bloqué dans sa progression et au vu de l’importance de ses pertes, l’ennemi renonce, se replie en abandonnant même ses canons d’infanterie. Un calme relatif règne alors permettant l’évacuation de blessés et l’approvisionnement en munitions.
Un violent bombardement reprend vers 13h30, très axé sur le secteur Mont Chaudron-Oches. L’infanterie progresse derrière le rideau d’obus et attaque à nouveau la cote 253 dont le sol a pris un aspect lunaire. Les munitions s’épuisent assez vite ! Hélas, pas d’ER 40, pas d’ER 17, plus de téléphone, pas de motos…il ne reste que les agents de liaison. Missions longues, pénibles, risquées, épuisantes, aléatoires.
Dans cet enfer, le capitaine Duvignère relève « quelques défaillances individuelles ou collectives,… mais malgré tout l’ennemi n’a pas pris un pouce de terrain tenu par le 123 ».
En fin d’après midi, des tirs de fusée arrêtent l’attaque ennemie. L’artillerie cesse ses tirs. Un calme étonnant règne soudain.
Devant nos lignes apparaissent des Allemands qui agitent un drapeau à Croix Rouge. Il sollicitent une trêve pour ramasser leurs blessés et tués : elle est accordée pour 2 h. Des camions arrivent et les brancardiers s’affairent à ramasser leurs camarades.
Coté français, les blessés sont transportés au Poste de Secours et des tués sont mis en terre.
Mais voilà qu’à 18 h les chefs de Bataillon sont avisés qu’un ordre de repli est arrivé au PC de la Division et que « le mouvement doit être terminé avant le lever du jour ». Cet ordre de repli arrive au 123° RI à la tombée de la nuit. Il est répercuté à toutes les compagnies. Stupeur générale, incompréhension, révolte ! Après tant de travaux, de km de rouleaux de fil barbelé installés, 5 000 mines mises en place, une résistance efficace à toutes les attaques ! Pourquoi tous ces combats, pourquoi tous ces morts, tous ces blessés ??
Mais à la nuit le décrochage commence silencieusement. Les hommes, harassés par cette nouvelle journée, emportent tout le matériel ; ils doivent descendre vers le ruisseau du Bièvre et passer sur l’unique passerelle qui mène à Fond Barré. Ils se dirigent ensuite comme ils peuvent vers Authe et Autruche. Comme le terrain a été labouré par les obus, les bombes, le cheminement de nuit est pénible. Certains s’égarent même et le moral est bien bas.
Les restes du II° Bataillon sont dirigés vers Autruche sous la protection du III° Bataillon qui le suit.
Le 11 juin, au petit jour, Autruche est atteint.
Un groupe est resté à la ferme de Fond Barré pour s’assurer du repli des dernières sections, de deux canons de 25 et de l’enlèvement des munitions. Un brouillard dense, bienvenu, s’étend soudain sur la campagne. Les derniers éléments passent vers 4 h. Le 1er Bataillon se replie par Germont.
A la nuit, l’Aire est atteinte.
Du PC de Briquenay, dès la nuit tombée, on voit arriver les différents groupes qui se replient, d’abord ceux qui n’étaient pas en première ligne : pionniers, santé, reconnaissance, puis arrivent les fantassins et les artilleurs. Un embouteillage monstre se forme à l’entrée et à la sortie du village : les barricades en chicane bloquent les flux, empêchent notamment les équipages des artilleurs de pouvoir passer avec leurs dix chevaux tirant les canons longue portée. Il faut vite faire démonter ces barrages et alors, le flux reprend. A l’aube, l’essentiel est passé. La dernière batterie du 214° RAD (16° batterie du capitaine Paul Marraud) apparaît au soleil levant.
Un brouillard épais, providentiel, recouvre la campagne, empêchant l’intervention de l’aviation déjà présente car on l’entend tourner au-dessus. Grâce à lui, l’ennemi ne découvre le repli qu’au milieu de l’après-midi.
Le PC du CAC est transféré aux Islettes ; celui des 35° et 36° Divisions, à Senuc. A midi, le brouillard disparait et l’aviation ennemie en profite pour lâcher quelques bombes ici et là.
Le 12 juin, une halte est faite à Chevières.
Commence alors une retraite terrible, harassante, meurtrière, où nos troupes marchent la nuit et combattent le jour, face à des ennemis motorisés, toujours sur leurs talons, régulièrement ravitaillés en vivres et en munitions.
Les Panzerdivision venant de Dunkerque sont revenues vers l’Aisne, notamment devant Château Porcien. Une tête de pont est créée, des ponts provisoires construits à Château Porcien le 10 juin après midi, ce qui permet aux Panzerdivision de Guderian de filer sur Reims, Châlons puis Pontarlier et la frontière suisse. Cette manoeuvre encercle totalement les unités du Nord-Est.
Ce même 12 juin, suite à la réunion de Briare, le général WEYGAND diffuse une instruction personnelle et secrète (NI 1444/3FT) imposant à l’ensemble des armées de rompre le combat et de se rassembler au centre de la France, sur une ligne Caen – Tours – Dijon. Cet ordre fut mal reçu par un certain nombre de généraux, parmi lesquels le général Prételat dont dépend le CAC : trop tardif, inapplicable par manque de moyens de transport et pour cause d’encerclement en cours. Il ne l’applique pas. Cette situation chaotique sert Weygand qui veut accélérer la signature d’un armistice ardemment désiré.
Le 13 juin, dans cette course-poursuite, le colonel Debuissy décide d’annuler un repos de 4 heures prescrit à son unité qui se replie vers Sainte Ménehould. Parvenu dans celle localité, il constate le retard du 2° Bataillon du commandant Ludger Fagard qui devait couvrir le Nord de la ville. Vers 10 heures, il délègue des éléments du Ier Bataillon pour assurer cette mission. Les responsables de la division lui reprocheront de s’être replié trop vite et d’être notamment responsable de la perte d’une batterie restée à Moiremont, à 5 km au Nord de Sainte Ménehould.
Le 14 juin, il est limogé (ce que souhaitait Decharme) et remplacé par le Lt colonel Martyn (un ami de Decharme). Le bruit court que le régiment sera peut-être dissous.
Notons que des replis individuels ou par petits groupes étaient possibles pour ceux qui en avaient la volonté : le général polonais Bronyslaw Duch, vu le défaitisme des généraux français, décida le 21 juin la dissolution de son unité et la création de petits groupes qui réussirent, comme leur général, à rejoindre la Grande Bretagne, malgré l’appel de Pétain du 17 juin de cesser le combat et sa demande d’armistice.
Les divisions encerclées vont remonter le cours de la Meuse, reculer chaque jour, prises dans une nasse qui se referme rapidement. 7 divisions et le 42° CA ainsi que leurs généraux (dont Decharme) sont capturées le 23 juin à Thuilley aux Groseilles (au Sud-Est de Toul).
Le 16 juin, à Gimécourt, une salve d’artillerie tue le commandant d’Olce et une partie de son état-major (6 personnes). Il est remplacé par le Capitaine DUVIGNERE qui est fait prisonnier le 16 juin près d’Erize la Petite (Meuse). C’est alors le commandant COUDRIN qui le remplace.
La 35° DI aura perdu environ 400 hommes pendant son séjour au front. Les endroits les plus meurtriers auront été Les Petites Armoises, la ferme de Bazancourt, les abords du Bois du Chesne pour le 21° RMVE, le Bois de Sy pour le 11° RI, la cote 253 pour le 123° RI.
Le I° Bataillon du 123° RI compte 63 morts et blessés.
41 morts du 21° RMVE ont été enterrés à Noirval.
Du côté allemand, les pertes ont été si importantes qu’un cimetière a été installé sur place, de chaque côté de la route allant de Oches à Sy.
Des photos ont été retrouvées sur Internet :
Le dossier Duvignère rapporte le nombre de 915 tombes…
* Abréviations :
3° DIM = 3° Division d’Infanterie Motorisée
GQG = Grand Quartier Général
3° DCR = 3° Division Cuirassée de Réserve
GRCA = Groupe de Reconnaissance de Corps d’Armée
DCA = Défense Contre Avions
GRDI = Groupe de Reconnaissance Divisionnaire
RATT = Régiment d’Artillerie Tout Terrain
RAD = Régiment d’Artillerie Divisionnaire
Sources :
- Robert DUFOURG : La 35° Division dans la bataille
- Robert DUFOURG : Brassard rouge Foudres d’or (1951)
- Hans Habe : Ob Tausend fallen (été 1941 aux États Unis) en allemand et en anglais (traductions en 24 langues sauf en français : on peut s’interroger sur les raisons qui privent les Français d’un « témoignage de tout premier ordre…°) + traduction et recherches complémentaires d’André Blitte (Montréal)
- Extraits du journal La Tramontane (amicale du 21° RMVE)
- Képis blancs et vieilles ficelles : le 21° RMVE
- André DUFILHO : Mon Lieutenant, un blessé vous demande (il était médecin au I/123° RI)
- Robert LATREILLE : Journal de route (mai-juin 1940) dans Les Cahiers du Bazadais n° 141 (2° trimestre 2003)
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Documentation de Jean-Pierre DUVIGNERE relative au 123° RI (son père l’a commandé en juin après la mort du Commandant d’Olce) aimablement mise à disposition par Mme Frédérique DUVIGNERE.
REPLI et CAPTURE
Voilà ce qui s’est passé dans ce secteur des Ardennes en mai-juin 1940. Alors, s’il vous plaît, ne laissez plus dire que le soldat de 40 ne s’est pas battu, qu’il n’a pas eu le courage de combattre, qu’il s’est lâchement enfui ! C’est un mensonge ! Il s’est battu avec les armes qu’on lui avait données, dans des conditions souvent dramatiques, a exécuté les ordres des responsables de l’armée, comme en 1914-18, comme en 1870 ! Ces clichés ont pu servir les démolisseurs de la République, mais ce temps est passé. Les Français-ses- ont droit à la VÉRITÉ ! Et les 65 000 morts, et leurs familles, ont droit au RESPECT ! Faites-le savoir !
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